Pour ou contre la chicotte ?
Panorama africain des poins de vue mardi 7 février 2006 |
|
La chicotte est-elle un châtiment corporel ou une banale correction utile dans l’éducation de ses enfants ? Fait-elle partie de l’identité culturelle africaine ? Qu’en est-il de la chicotte aujourd’hui en Afrique et dans la diaspora ? Telles sont les questions auxquelles nos témoins ont bien voulu répondre lors d’un micro-trottoir. |
Par Vitraulle Mboungou
La chicotte est définie généralement en Afrique comme un instrument servant à infliger des punitions corporelles aux enfants turbulents. Pour beaucoup d’Africains, ces « petites corrections » sont utiles dans l’éducation des enfants, à condition que cela reste exceptionnel. D’autres pensent que la chicotte n’est pas forcément nécessaire, qu’il existe d’autres moyens pour affirmer son autorité. Tous les enfants sont-ils égaux face à la chicotte ? Existe-t-il des disparités selon son âge, son statut dans la famille, son sexe ou son milieu social ? Quoi qu’il en soit, gare aux dérives de la chicotte ! Il peut arriver que cela bascule dans la maltraitance. Ainsi, des pays africains commencent à mettre le bémol concernant cette pratique, surtout dans les écoles.
Francine, 28 ans, doctorante, d’origine togolaise
« La chicotte doit avant tout être éducative »
« Je ne suis pas du tout d’accord avec le terme de châtiment
corporel pour désigner la chicotte parce qu’il me paraît complètement
impropre. Il s’agit juste de petites corrections données avec n’importe
quoi. Dans mon cas personnel, il s’agissait des chaussures mais c’était
des punitions méritées. Ce n’est pas une expérience traumatisante pour
moi, d’ailleurs je pense que pour une Africaine je n’ai pas été assez
tapée étant donnée toutes les bêtises que j’ai pu faire. Finalement, je
suis satisfaite de mon éducation. Je suis complètement pour la chicotte
tant que ça ne devient pas justement un châtiment corporel et que c’est
justifié dans le processus de l’éducation. Il faut que ça reste
éducatif et exceptionnel, sinon ça ne sert à rien parce que soit la
punition n’a plus aucun effet sur l’enfant, soit l’enfant intériorise
tout ça et risque d’être traumatisé. Dans ces deux cas, la chicotte
n’est plus bénéfique ».
Mr Afognon, 47 ans, parachutiste des Forces armées béninoises, d’origine béninoise
« La chicotte est utile pour faire obtempérer les enfants récalcitrants »
« La chicotte, c’est une lanière utilisée pour éduquer, corriger
les enfants, les obliger à obtempérer et obéir. J’utilise la chicotte
quand l’enfant l’a mérité, ce n’est pas tous les jours. C’est surtout
pour faire peur. Je m’explique : on utilise une première fois la
chicotte sur l’enfant pour qu’il sache ce que c’est, et après on peut
s’en servir pour le menacer. Les enfants d’aujourd’hui ont la tête
dure, ils ne veulent pas comprendre. C’est la faute de la télé qui les
a gâté ; ils essayent de faire ce qu’ils voient à la télé. C’est pour
ça que l’internat me paraît une bonne idée. Ils y reçoivent une
meilleure éducation parce qu’ils sont presque coupés de tout. Mais
c’est pour les parents qui ont les moyens. Il est donc vital de garder
la chicotte. Sans ça, l’éducation des enfants serait complètement
faussée. Il faut que l’enfant comprenne qu’il va être chicotté s’il ne
suit pas les règles. Mais présentement, ce n’est plus pareil, ça a
changé parce que la chicotte a été supprimée à l’école. C’est interdit
maintenant sauf à la maison, où les parents continuent à utiliser la
chicotte.
Fatimata, 47 ans, préparatrice de commande, d’origine burkinabé
« Tous égaux face à la chicotte »
« La chicotte est pour moi un instrument disciplinaire qui sert à
se faire obéir facilement de ses enfants, pour avoir plus d’autorité.
En ce qui me concerne, je n’ai pas d’objet précis, c’est tout ce que je
trouve, ça peut-être n’importe quoi, une chaussure ou un chausson, peu
importe. Je prends tout ce que je trouve à côté de moi. Souvent je ne
vais pas jusqu’au bout, c’est juste pour faire peur. On doit chicotter
dans un but éducatif, la chicotte doit donc rester exceptionnelle. Il
faut toujours qu’il y ait une raison. Et mes enfants sont tous égaux
face à la chicotte : garçon ou fille, aîné ou dernier, pas de
favoritisme parce que la chicotte est une mesure disciplinaire pour
tous les enfants. Mais, c’est vrai que les filles sont plus sages, et
donc on a moins de soucis avec elles. Par contre, mon dernier me cause
plus de soucis. Il fait plus de bêtises que ses aînés et j’ai moins
d’autorité sur lui, pourtant j’applique la même méthode. Les enfants
d’aujourd’hui sont de plus en plus durs. Je suis contre le principe
d’envoyer un enfant turbulent au pays ou dans un internat pour le
recadrer. Les parents doivent assumer leur responsabilité, on n’a pas à
déléguer son pouvoir parental ».
Mickaël, 21 ans, étudiant, d’origine congolaise
« Plus les parents sont vieux moins ils chicottent »
« Pour moi, la chicotte est un châtiment corporel mais sans tout le
côté péjoratif du terme. Mes parents ne m’ont jamais chicotté, mais par
contre mes frères et sœurs si. Je pense que j’ai bénéficié d’un certain
favoritisme parce que j’étais le dernier de la famille. Avec les
années, les parents changent, ils sont moins sévères. Ils utilisent
moins la chicotte par manque d’énergie, ils se sentent plus fatigués et
n’ont donc plus la force de recourir à ce type de méthode. Pour
résumer, plus les parents sont vieux moins ils chicottent. Aujourd’hui,
je pense que les parents chicottent moins parce qu’ils ont moins
d’appréhension au niveau de l’éducation de leurs enfants. Les enfants
maintenant sont plus précoces, ils parlent plus vite, et donc
comprennent aussi plus vite ; ils savent très tôt ce qui est bien et
pas bien. Je suis pour la chicotte à la maison mais contre à l’école.
Mes enfants, je ne les chicotterais pas, je vais plutôt privilégier le
dialogue, la discussion. ».
Marchault, 44 ans, professeur au collège, d’origine béninoise
« Avec la chicotte, le jeune Africain comprend vite »
« La chicotte, c’est une planchette, un morceau de bois que
j’utilise pour me faire obéir. Avec la chicotte, l’Africain comprend
vite. C’est une sorte de remède qui permet de mettre les enfants au
pas, par exemple quand ils ne veulent pas travailler. Avec ça, ils
savent que s’ils ne travaillent pas, ça va chicotter. Ca reste
exceptionnel parce que c’est interdit dans le règlement, mais on est
obligé de l’utiliser parce que l’Africain a besoin de la chicotte.
Personne ne dit rien que ce soit la direction de l’école ou les
parents. Et puis avant de chicotter, je donne toujours au moins deux
avertissements, au bout du troisième, l’enfant sait ce qui l’attend.
C’est sûr qu’en Occident vous ne pouvez pas trop comprendre cette
méthode, mais ici elle est indispensable dans l’éducation des enfants.
Mes enfants aussi, quand ils commettent une faute, je n’hésite pas à
les chicotter. Comme je vous l’ai dit, c’est le seul moyen pour qu’ils
comprennent vite. C’est sûr qu’au moment de la chicotte, ils ne sont
pas contents, mais une fois grands, ils doivent forcément nous
remercier ».
Joé, 25 ans, étudiant, d’origine centrafricaine
« La chicotte est utilisée de manière trop abusive à l’école »
« La chicotte, c’est un instrument qu’on utilise pour taper,
corriger les enfants. Comme beaucoup d’enfants, j’ai eu droit à la
chicotte, surtout à l’école. Souvent c’était le bâton du balai, une
règle ou alors les pneus de voiture coupés en languettes. C’est pas
dramatique, c’est éducatif à fond et avec le recul je me dis que ces
coups je les ai mérité sauf pour ce qui est de l’école. En classe,
c’était abusé parce que le maître donnait les coups parfois pour rien.
C’était une question de savoir, de rapidité, quand il te posait une
question. Il fallait répondre très vite, sinon gare à la chicotte. On
n’avait pas le temps de la réflexion. Il te tapait devant tout le monde
alors que tu n’avais même pas fait de bêtises. Mais parfois je me dis
c’est pas plus mal comparé aux enfants « frenchies » que je peux
croiser dans la rue et qui parlent trop mal à leur mère. En ce qui me
concerne, je ne vais pas chicotter mes enfants plus tard. Si, peut-être
des petites tapes, des fessées, mais sans plus. C’est dès la petite
enfance qu’il faut montrer son autorité avec le jeu de regard. Tout se
joue dans le regard au début. Il y a des regards qui te glacent le sang
et qui sont pire que la chicotte. »
Bérénice, 24 ans, étudiante, d’origine congolaise
« Souvent, ce sont les garçons qui se font chicotter »
« La chicotte, c’est un objet qu’on utilise pour faire du mal ou
dresser, enfin corriger quelqu’un. Je n’ai pas été chicottée ni à
l’école ni à la maison mais mon grand frère si. C’était il y a
longtemps quand il était petit et c’était assez rare. Je ne sais pas
pourquoi j’ai échappé à la chicotte. Les filles favorisées par rapport
aux garçons ? Je ne me suis jamais vraiment posée la question, mais
c’est possible parce que c’est vrai que souvent ce sont les garçons qui
se font chicotter. Je suis pour et contre la chicotte. D’abord pour
parce que parfois on est obligé de le faire pour certains enfants, mais
quand même il ne faut pas le faire souvent, seulement dans certains
cas. Et je suis contre à cause de la douleur, elle doit être
insupportable. C’est possible que je chicotte mes enfants plus tard, si
le besoin s’en fait sentir. »
Akim, 23 ans, étudiant, d’origine béninoise
« La chicotte est synonyme d’échec »
« La chicotte pour moi, c’est le palmatoire, un espèce de fouet qui
sert à frapper. La chicotte a fait partie de ma vie quotidienne, à
l’école (internat), à la maison. C’est surtout à l’école que j’ai été
le plus chicotté. C’était tout le temps ; ça pouvait tomber à tout
moment dès lors que tu ne te tenais pas tranquille. A la fin, c’était
devenu presque comme un jeux entre nous. Quand quelqu’un avait fait une
bêtise, on savait qu’il allait y avoir droit, on se mettait à chanter
(il se dandine de gauche à droite, ndlr) ‘la danse de la chicotte’
devant lui. La punition était souvent disproportionnée par rapport à la
bêtise faite, ils étaient à plusieurs sur une personne. Ce n’était pas
tout le temps les coups du palmatoire, ça pouvait aussi être le piquet.
On devait rester immobile pendant plusieurs heures dans une position
indiquée : la jambe droite au sol, l’autre en l’air derrière le dos
tout comme le bras droit. Si on avait le malheur de bouger, on avait
des coups de chicotte. Mais bon ça fait partie de la culture africaine,
on l’accepte. Surtout que dans mon cas, ça m’a été utile. Avec le
recul, je comprends qu’il me fallait ça sinon j’aurais sûrement mal
tourné. Les maîtres ou les professeurs se sentent touts puissants parce
qu’ils se savent soutenus par les parents qui les encouragent dans ce
sens. Personnellement, je ne le ferais pas avec mes enfants parce qu’il
y a d’autres moyens de faire valoir son autorité sans frapper. Pour
moi, chicotter son enfant est un signe de faiblesse. Si on en arrive
là, c’est que, quelque part, on a échoué dans son éducation ».
Ibrahim, 17 ans, lycéen, d’origine burkinabé
« La chicotte est un châtiment corporel pour les enfants qui sortent du droit chemin »
« La chicotte est pour moi un châtiment corporel pour les enfants
qui sortent du droit chemin ; elle est là pour les recadrer. C’est
valable seulement quand on est petit, jusqu’à 8-10 ans par exemple.
Après ça ne sert à rien parce que le cerveau de l’enfant est déjà
développé, il est capable de faire la différence entre le bien et le
mal. A partir de là, c’est mieux de passer par le dialogue, la
discussion. Moi-même, j’ai été chicotté quand j’étais plus petit,
c’était à la main ou avec des chaussons, mais c’était rare. C’était
surtout des ‘criades’, des disputes. Plus tard, je ne chicotterais pas
mes enfants sauf s’il y a vraiment des gros soucis. Sinon je pense
gérer ça de façon à ne pas utiliser la chicotte. A la rigueur peut-être
une gifle ou deux, mais je n’irais pas plus loin. Donc je dirais que je
suis plutôt contre la chicotte en général, ou alors entre les deux ;
c’est-à-dire oui pour une paire de gifle de temps en temps en cas de
gros problème, et non parce que c’est toujours mieux de discuter. »
Mame, 27 ans, écrivain, d’origine sénégalaise
« Parfois, l’élève provoquait le maître pour qu’il le tape »
« La chicotte, c’est la ceinture ou la languette faite à base de
pneus. Je me souviens en particulier, une fois en classe pendant une
dictée, le maître tapait avec cette languette chaque élève qui faisait
une faute sur la dictée. Ça m’a marqué. Souvent, il l’utilisait pour
punir les élèves perturbateurs. Après c’était devenu comme une sorte de
jeux entre eux, l’élève provoquait le maître pour qu’il le tape et
quand c’était le cas, il ne manifestait aucune réaction pour montrer à
l’autre que ça n’avait aucun effet sur lui. C’est surtout à l’école
primaire qu’on chicotte, à partir du collège la chicotte devient plus
rare. A la maison aussi, j’ai été chicottée mais moins souvent qu’à
l’école. Souvent, c’était justifié, c’était quand je faisais vraiment
des bêtises. Par contre, mon petit frère, le dernier de la famille, a
échappé à la chicotte sans doute parce que le dernier est toujours le
plus gâté mais aussi à cause de l’âge des parents, qui s’adoucissent en
vieillissant. Ils passent plus par le dialogue, la discussion. Je ne
pense pas que je vais chicotter mes enfants plus tard, juste des
petites gifles peut-être. Je suis plutôt contre la chicotte, mais bon
en même temps, on l’accepte parce que ça fait partie de la culture
africaine. On a tous plus ou moins été chicotté étant enfant, mais ce
n’est pas pour autant qu’on en veut à nos parents, parce qu’on sait que
c’était pour notre bien ; même si parfois ça va loin. »